Siméon Roland Ekodo Mveng
Doctorant, Département de science politique, UQAM
Quand l’OMS prédisait au début de la crise que le COVID-19 ferait des ravages en Afrique, cette organisation tutélaire des systèmes de santé s’appuyait certainement sur des indices structurels et des données sociétales qui exposeraient en principe le continent aux fourches caudines de la pandémie. Elle raisonnait peut-être par déduction normative et par comparaison multi variée en validant sans test empirique l’hypothèse que, comme l’occident qui a plus de ressources organisationnelles arrive ainsi à être touché, l’Afrique qui n’en dispose que très peu sera objectivement le cimetière d’une crise humanitaire sans précédant. Or précisément, ce jeu de cassandres n’intégrait pas le fait que certaines communautés historiquement éprouvées par des maladies tropicales pouvaient développer des réflexes auto-immuns à partir de leur connaissance pratique des prophylaxies similaires parfois non brevetées. Cette prophétie apocalyptique avait certainement oublié que le facteur âge pourrait être capitalisé comme bouclier anti-Covid dans un continent africain marqué par le rajeunissement continu des populations, contrairement à l’occident et à l’Asie surpeuplés par des vétérans assez vulnérables à la pandémie. Au rang de ces États présomptueusement avisés, la République Démocratique du Congo apparait comme un exemple illustre de la résilience contre le COVID-19 après ses luttes successives d’éradication des virus Chikungunya[1] et Ébola[2].Analyser les lignes de défense bio et paramédicales de lutte contre le COVID-19 en RDC depuis l’identification du premier cas le 10 mars 2020[3] reviendrait à essorer son plan national de riposte contre la crise tout en considérant l’action cruciale de ses partenaires de revers. Fort de son background épidémiologique, peut-on désormais évoquer l’idée d’une mémoire virale dans le système de santé congolais comme facteur de séroprévalence contre toutes les autres maladies infectieuses ? Sinon, de quels moyens et de quelles méthodes s’y prendrait un pays déjà fragilisé par des conflits politiques depuis 1998 pour limiter la propagation d’une hydre qui terrasse actuellement les États puissamment dotés de plateaux techniques rénovés? Répondre à ces questions nécessitera que nous fassions déjà l’État des lieux, ensuite qu’étudiions l’appropriation locale des mesures barrières et enfin que nous évaluions chemin faisant son plan spécifique de riposte contre le Covid-19.
- État des lieux, et identification des problèmes connexes
Il s’agit ici de tenter de connaitre le théâtre d’opérationnalisation de la lutte contre le Covid-19 en identifiant l’environnement socioéconomique, la psychologie des acteurs institutionnels et des populations cibles, ainsi que les préoccupations qui pourraient se greffer à la crise sanitaire. On pourrait également étudier les avantages comparatifs que ce milieu spécifique offrirait au consortium d’acteurs mobilisés dans le cadre du plan de riposte.
- Amorce controversée et difficultés de formulation d’une politique sanitaire intégrée
Il convient de souligner que la stratégie de lutte contre le Covid-19 en RDC a été émaillée au début par une controverse suite à un communiqué du Professeur Jean Jacques Muyembe qui laissait croire que des essais cliniques pourraient être réalisés dans ce pays[4] avec le concours de ses amis qui se trouveraient au Canada, aux États-Unis et en Chine. Un discours qui a provoqué un tollé général au sein d’une population se refusant de jouer le rôle de cobaille. Le patron de ce plan de riposte avait d’ailleurs fait amende honorable quelques jours plus tard en élaguant cette hypothèse et en essayant de dissiper les malentendus sur les approximations de son propos avec les théories du complot. L’autre cacophonie dans la communication gouvernementale est survenue le 10 mars quand le Ministre de la Santé avait, dans une première adresse laissé entendre que le premier cas détecté serait un belge ; et dans un autre propos affirmé que ce sujet était un congolais résident en France[5]. Toutes choses qui ont suffit à semer le doute dans l’esprit des congolais. Si certains ont opté pour la ridiculisation des équipes de santé affectées sur le terrain, d’autres kinois[6] en occurrence ont manifesté une défiance envers les mesures édictées par le gouvernement selon un constat empirique d’Olivier Kana un médecin humanitaire[7]. Une frange de la population serait même convaincue que cette pandémie est une affaire de blancs selon ce membre fondateur de l’Association Gardien de vie, tourné en dérision dans un Marché en lingala suivant l’expression «Awa virus Eza te »[8] Au-delà de ces dissensions, la mise en œuvre du plan de riposte contre la pandémie fait face à de nombreux défis émergeants sur le terrain.
- Les défis socioéconomiques structurels et corrélés.
Il s’agit ici des questions non résorbées avant la crise sanitaire à savoir le chômage; les conflits politiques, la vétusté des infrastructures publiques et la dévaluation de la monnaie. Mais également des problèmes nés in situ. Selon une enquête réalisée par le Journal Le Monde au début de cette pandémie, les trois numéros vert, dédiés aux appels d’urgence ne passaient presque pas et les personnes présentant des symptômes étaient obligées de joindre les médecins agrées via leur téléphone privé. Pendant ce temps, l’équipe de riposte faisait face au problème de moyens logistiques. Ces reporters illustrent ce propos par le nombre limité de véhicules devant couvrir les zones reculées ainsi que l’absence de supports numériques pour l’enregistrement des clients. Les médecins prenant parfois des notes sur des papiers volants[9].Un constat de dénuement a qui fait dire au Docteur Muyembé opportunément nommé par le président Félix Tshisekedi de coordonner le plan de riposte que « C’est un énorme défi, et nous ne sommes pas préparés. On n’a pas la logistique, on manque de moyens à tous les niveaux».[10]
2- Le train de mesures de lutte contre le Covid-19 en RDC : une analyse des réponses institutionnelles et des apports conjoints.
Il s’agit ici d’évaluer avec des indicateurs de performance, l’action publique sanitaire de lutte contre le Covid en termes de mobilisation des moyens, de stratégies, de programmes et de partenariats.
- Les choix gouvernementaux au crible d’une évaluation serrée.
Pour prévenir, minimiser les risques de contamination et éventuellement éradiquer la pandémie actuelle, le gouvernement de la République démocratique du Congo a mobilisé une batterie de mesures contenues dans un plan national de riposte contre le Corona virus. Elles vont de l’État d’urgence à l’adoption en commission parlementaire d’un projet de décret qui «concerne aussi bien les mesures-barrières que les précautions à prendre et des obligations à respecter en matière de déplacement des personnes ».[11]Le président de la République Félix Tshisekedi a notamment annoncé le 21 juillet dernier après la suspension de certaines activités le 24 mars la procédure à suivre pour leur réouverture progressive. Il en a ainsi décidé que « les activités commerciales telles que les magasins, banques, restaurants, cafés, bars, entreprises, ainsi que la reprise des rassemblements, réunions, célébrations et transports en commun » reprendraient le 22 juillet 2020[12].Dans ces directives, « la reprise des écoles et universités était fixée au 03 Aout 2020 » pendant que « la réouverture des églises et lieux de culte, la reprise des mouvements migratoires interprovinciaux, l’ouverture des ports, aéroports et frontières, la réouverture des discothèques, stades et salles de spectacle fut prévue pour le 15 Aout 2015[13].Au-delà de ces mesures conservatoires assez louables, le gouvernement aurait dépensé jusqu’au début du mois de juillet, une faramineuse somme de 27 millions de Dollars, malgré des fortes odeurs de corruption non encore élucidée par une mission d’enquête parlementaire commandée par le député de l’opposition Léon Mondolé[14] ou encore par la justice par saisine de l’Inspecteur Général des finances Jules Alingete. En toute logique, des faits de détournement ayant vraisemblablement impacté le mauvais traitement salarial des médecins et bénévoles impliqués dans le plan de riposte devraient réduire la prise en charge des patients et noircir le tableau épidémiologique du Covid-19 en RDC de par ; le préjudice sur l’achat de matériel médical et la réduction de la motivation psychologique des équipes exposées elles-mêmes au risque de contamination. Or précisément, les chiffres officiels du Ministère de la Santé faisant état en date du 27 Aout 2020 de 9994 cas confirmés, 704 actifs, 9035 guéris et 255 décès font plutôt la preuve d’une résilience du pays face à la pandémie si on devait procéder par comparaison avec les ressources et plateaux techniques de certains États occidentaux qui n’ont pas pu contenir les effets ravageurs du coronavirus. Un tel contraste pourrait trouver d’autres paramètres explicatifs si on analysait les résultats du plan de riposte en intégrant tout le chainon d’acteurs jouant le rôle de substituts fonctionnels ou d’adjuvants au gouvernement.
- Le partenariat Technique et financier comme ceinture de sécurité de l’action publique sanitaire en RDC.
La mobilisation contre le Covid-19 en RDC dévoile au-delà des discours officiels, la main invisible des bailleurs de fonds, l’appui discret des organisations internationales et des pays partenaires mais aussi la contribution active et silencieuse des militants de la société civile. Le PAM en occurrence, faisant le constat que les crimes de guerre et la récente crise Ébola achevée en juin dernier aggravaient non seulement la faim, et les migrations internes, mais exposaient également des populations au Covid-19 se propose sur le terrain de fournir de l’argent et de la nourriture. L’agence onusienne prévoit à cet effet d’allouer une somme de 172 Millions de Dollars dans les six prochains mois[15]. Bien plus, une organisation de la Société Civile dénommée ADEPESIDI[16] et travaillant en partenariat avec ONU-SIDA s’emploie depuis le début de la pandémie à sensibiliser les jeunes, à fabriquer les masques et à distribuer des gels dans les communes de Ruashi, Annexe ,Kampemba et Lubumbashi[17].Dans cette vague de communication sanitaire, le Mouvement citoyen Filimbi a lancé la chanson « Congo contre Corona ».Cette galette musicale traduite en français et dans les quatre langues nationales invite les populations au respect des gestes barrières, au lavage des mains et au confinement si possible[18].Pour contenir la propagation de la pandémie, l’OMS par le biais de son Coordonateur humanitaire David Mc Lachlan-Karr en a décidé de donner une enveloppe de 10 Millions de Dollars. Cet argent devrait permettre selon les propos de son Représentant de « financer des projets de préparation et de réponse, en mettant l’accent sur la sensibilisation des communautés vulnérables ; la participation et l’engagement communautaire en matière de prévention ; la facilitation et l’accès aux installations sanitaires dans les zones touchées par la maladie »[19] .Dans cet élan de solidarité internationale, des partenaires au développement comme la Belgique, l’Irlande,les la Hollande et la Suède se sont également signalés pour venir en aide au Congo RDC selon les assurances du Représentant onusien.
Il faut ajouter en sus de ces mesures d’accompagnement qu’un groupe de chercheurs nationaux sous la houlette du Docteur Jérôme Munyangi a reçu du Ministère de la santé une autorisation pour la réalisation d’un « essai clinique randomisé» sur l’extraction des vertus thérapeutiques de la plante Artemisia Annua[20]. Cette offre en répondant à la critique méthodique du Covid Organics de Madagascar a la prétention de fournir un protocole clinique qui répondrait aux standards de l’OMS. La pandémie du Covid-19 n’est d’ailleurs pas une expérimentation probatoire de ce produit traditionnel. Motif pris de ce que cette plante Artemisia aurait selon des témoignages de ses promoteurs et de certains patients eu des effets louables dans le recul considérable du paludisme en RDC et dans la sous-région. Il convient de souligner également que, d’autres substances dans une forme de nationalisme médicinal et de revanche sur les produits pharmaceutiques importés ; ou finalement de rejet tacite d’une perspective de vaccin venu d’occident sont proposées par des herboristes aux populations pour endiguer cette maladie perçue comme une invention complotiste. On y retrouve dans cette lignée l’Aloès Vera et certaines écorces bouillies.
Cette contribution avait pour objectif majeur d’examiner la résilience épidémiologique de la République Démocratique du Congo face à la Covid-19.On a ainsi pu déceler une forme d’imbrication stratégique entre les réponses institutionnelles, les appuis extérieurs et le rôle clé des acteurs de la société civile. Il nous est aussi apparu important de souligner à l’ombre du plan de riposte formulé par le gouvernement, des expériences socio-anthropologiques de guérison du coronavirus. Ces dernières et au-delà de l’agenda géopolitique de décolonisation des firmes pharmaceutiques qui ont pignon sur rue au Congo, mobilisent en effet les réflexes thérapeutiques de lutte contre le paludisme, le virus Ébola et la fièvre chikungunya pour contrecarrer une pandémie similaire. Il vient donc que le bilan moins apocalyptique de la RDC serait le produit cumulé de toutes ces mesures.
Bibliographie
Actualité.CD, Lutte contre Covid-19 en RDC : le mouvement citoyen Filimbi lance la chanson « Congo Contre Corona » Mardi 25 Aout 2020,17 h 37mn
Actualité CD, RDC: le gouvernement adopte le projet de décret portant mesures barrières de lutte contre la pandémie de la Covid-19, Samedi 15 Aout 2020,10 h 10
Jeune Afrique, 18 juin 2020
Le Monde Afrique, Par Juliette Dubois, 31 mars 2020,18 h 30
ONU-RD CONGO, COVID-19 : des filles mères mises à contribution dans la prévention,19 juin 2020
OMS-RD Congo, US$10 millions du Fond Humanitaire en République démocratique du Congo pour lutter contre le Covid-19. Écrit par Yvon Edoumou,15 Avril 2020
Radio Okapi, RDC, Conflits et Covid aggravent la faim, alerte le PAM, publié le 16 Aout 2020
RFI /Afrique, où sont passés les millions de la lutte contre le coronavirus?
RFI, version numérique, 05/04/2020
Site d’information officiel du Ministère de la Santé,21 juillet 2020.Consulté le 29-08-2020
Site d’information du Ministère de la Santé, 21 juillet 2020.Consulté le 29-08-2020.
ONU INFO publié le 03 janvier 2020.Consulté le 02 septembre 2020
UNICEF DRC Tremeau, consulté le 02-Juillet-2020
[1] Une maladie ayant fait des ravages en RDC. Elle est caractérisée par des élévations de température et des douleurs aux articulations et des céphalées.
[2] C’est une fièvre hémorragique qui sévit en RDC. Selon un rapport d’Onu Info publié le 03 janvier 2020 sous la plume de Martine Perret, cette maladie aurait tué plus de 2232 personnes depuis 2018.
[3] Source : UNICEF DRC Tremeau, consulté le 02-Juillet-2020.
[4] RFI, 05/04/2020
[5] Le Monde Afrique, Par Juliette Dubois,31 mars 2020,18 h 30.
[6] Nom donné aux Habitants de Kinshasa.
[7] Source : Le Monde Afrique, op.cit. 31 mars 2020.
[8] Ici il n’y a pas de virus.
[9] Le monde, Afrique ibidem.
[10] Le Monde, Afrique, Ibidem.
[11] Actualité CD, RDC : le gouvernement adopte le projet de décret portant mesures barrières de lutte contre la pandémie de la Covid-19, Samedi 15 Aout 2020,10 h 10.
[12] Site d’information officiel du Ministère de la Santé,21 juillet 2020.Consulté le 29-08-2020
[13] Site d’information du Ministère de la Santé, 21 juillet 2020.Consulté le 29-08-2020.
[14] RFI /Afrique, où sont passés les millions de la lutte contre le coronavirus?
[15] Radio Okapi, RDC, Conflits et Covid aggravent la faim, alerte le PAM, publié le 16 Aout 2020.
[16] Association d’Engagement des Personnes et Enfants en Situation Difficiles
[17] ONU-RD CONGO, COVID-19 : des filles mères mises à contribution dans la prévention,19 juin 2020.
[18] Actualité.CD, Lutte contre Covid-19 en RDC : le mouvement citoyen Filimbi lance la chanson « Congo Contre Corona » Mardi 25 Aout 2020,17 h 37mn.
[19] OMS-RD Congo, US$10 millions du Fond Humanitaire en République démocratique du Congo pour lutter contre le Covid-19. Écrit par Yvon Edoumou, 15 Avril 2020.
[20] Jeune Afrique, 18 juin 2020.