29/03/2024

Covid-19 : l’initiative du Maroc et de ses aspirations sur le Sahara occidental

JAAFARI Nabil, KLINGELSCHMITT Nicolas, MCNICOLL Anthony, MOHAMED Younouss
Département de science politique, Uqam

Le 21 septembre 2020

            Dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, le Maroc a mis en place des mesures d’assistance extérieure vis-à-vis de 15 États africains pour les aider à combattre la pandémie[1]. S’il acquiert au passage un statut de producteur mondial de masques[2], ce soutien du Maroc n’est toutefois pas sans surprise puisque le pays mène, depuis plusieurs années, diverses politiques pour tenter de se rapprocher de ses voisins continentaux. Une des raisons de cette réconciliation est la volonté d’une reconnaissance continentale de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par l’Union africaine (UA), qui s’avère être un véritable pilier de la politique étrangère du Maroc[3]. En effet, la puissance émergente réclame depuis 45 ans cette ancienne colonie espagnole auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU), sans succès.

Cet article vise à étudier le lien entre l’aide marocaine apportée aux États africains dans le contexte de la Covid-19 et les prétentions du Royaume envers le Sahara occidental, ce territoire au statut juridique inexistant[4], que l’ONU catégorise comme étant un territoire non autonome[5]. D’une part, nous verrons la prépondérance du Maroc en Afrique de l’Ouest, et d’autre part, nous aborderons la stratégie marocaine de la diplomatie du masque ainsi que, à titre de comparaison, celle de la Chine.

            Malgré le fougueux départ du Royaume du Maroc de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1984[6], le Maroc a renoué avec son identité africaine en intégrant l’Union africaine (UA)[7], le 30 janvier 2017[8]. Ce retour, après 33 ans d’absence, a fait l’objet de nombreuses interprétations médiatiques et d’analyses de la part du milieu universitaire. Cette adhésion s’est accomplie suite à des rapprochements avec les pays d’Afrique de l’Ouest, dont les liens ont été établis bien avant 2017 grâce à de diverses stratégies diplomatiques de la part de Rabat[9]. La géographe Nora Mareï estime que les relations commerciales et diplomatiques marocaines sont actuellement plus fortes avec les États d’Afrique de l’Ouest qu’avec ceux du Maghreb[10]. Du fait des blocages au sein de l’Union du Maghreb Arabe, plusieurs projets d’envergure sont en cours, tel que l’aide du Maroc dans la création d’une corniche à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où le Royaume s’avère être l’investisseur étranger le plus important dans le pays[11].

            Le cercle d’influence du Maroc va au-delà de la région d’Afrique de l’Ouest. Depuis quelques années, Mohamed VI, le roi du Maroc, fait des visites annuelles aux quatre coins du continent. Parmi les objectifs poursuivis, on observe une volonté d’affaiblir l’Algérie, rival du Maroc et grand financier du Polisario, ainsi que d’accroître le statut de puissance du Maroc au sein du continent et de l’UA[12]. Si la Tanzanie appuie le Polisario depuis 1978, ce pays d’Afrique de l’Est a fortement changé d’attitude en adoptant une posture de neutralité vis-à-vis de la question du Sahara occidental en 2016[13], suite aux efforts diplomatiques marocains. Une aide médicale fut acheminée par le Royaume au Maroc en juin dernier en Tanzanie, permettant ainsi aux deux pays africains de renforcer la solidité de leurs liens. L’État marocain usa du « soft power des masques » comme moyen diplomatique. À cet effet, Adil Mesbahi dira que : « [l]e “ soft power des masques ”, c’est transformer le besoin mondial en masques de protection, en opportunité. Opportunité commerciale, mais également pour gagner en notoriété, à l’échelle régionale, voire mondiale ». Par conséquent, le Maroc utiliserait le contexte du coronavirus pour améliorer sa notoriété sur la scène africaine ainsi que pour avoir les appuis des pays Africains afin d’intégrer le Sahara occidental au sein de ses frontières.

Il mérite d’être noté que cette stratégie a été utilisé par la Chine au sein du continent. En effet, Frédéric Bobin et Joan Tilouine affirment que : « [e]n multipliant les dons d’équipements médicaux, la Chine renforce son ancrage stratégique en Afrique[14] ». À titre d’exemple, l’État chinois a considérablement aidé l’Éthiopie, le pays d’origine du Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, l’actuel Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé[15]. À titre de comparaison, l’aide chinoise en mars concernait six millions de masques pour 54 États africains, alors que le Maroc offrait huit millions pour 15 États. Plusieurs observations existent pour analyser cette émergence du Maroc. Si certains estiment qu’il y a, ces dernières années, une compétition hégémonique entre le Royaume du Maroc et la République de Chine en Afrique, d’autres y voient un partenariat clé entre ces deux pays. Alors que la Chine est traditionnellement en faveur des intérêts de l’Algérie[16], un changement profond et rapide peut s’effectuer à l’ère post-Covid. Un potentiel partenariat avec la grande puissance[17] pourrait s’accomplir pour faire avancer le dossier du Sahara occidental au profit du Maroc.

Somme toute, la stratégie de la chaise vide, adoptée par le Maroc de 1984 à 2017, s’est soldée par un terrible échec[18]. Par ailleurs, les multiples approches auprès de l’ONU pour régler la question du Sahara n’ont pas abouti à une solution satisfaisante aux yeux des dirigeants marocains. Le regain d’intérêt pour l’Afrique ces dernières années s’est concrétisé par de multiples rapprochements à la fois culturel, diplomatique et économique. La crise sanitaire a donc été utilisée pour affirmer les intérêts de l’État marocain en aidant 15 États africains. À cet effet, l’aide médicale marocaine s’avère être stratégique puisqu’elle se place dans la continuité d’une politique extérieure qui a pour ambition de légitimer la souveraineté du Royaume sur le Sahara occidental. L’étude de cette action nous démontre que celle-ci aide le Maroc à accomplir son intérêt national dans le but d’assurer  ses aspirations territoriales  en positionnant le pays comme un exemple positif sur la scène internationale. Le rôle non négligeable des médias en temps de pandémie permet en effet au Maroc d’acquérir une bonne image à l’international. Son statut de puissance émergente africaine, de pays touristique et son emplacement géographique lui permet de faire du lobbying à la fois auprès de la Chine, des pays occidentaux, arabes et africains, ce qui a une influence directe sur la possibilité d’annexer le Sahara occidental. L’ambition africaine du Maroc n’est donc qu’une stratégie parmi tant d’autres.


[1] Cette aide médicale comprend, entre autres, 30 000 litres de gel hydroalcoolique et huit millions de masques. Plusieurs lots de chloroquine (75 000 boîtes), de blouses (60 000) et de visières (900 000) ont aussi été acheminé. Les pays qui en ont bénéficié sont les suivants : le Burkina Faso, le Cameroun, les Comores, le Congo, Eswatini, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Malawi, la Mauritanie, le Niger, la République Démocratique du Congo, le Sénégal, la Tanzanie, le Tchad et la Zambie. Fahd Iraqi, « Coronavirus : le Maroc à la rescousse de l’Afrique », Jeune Afrique, 15 juin 2020, en ligne, <https://www.jeuneafrique.com/1001398/politique/coronavirus-le-maroc-a-la-rescousse-de-lafrique/>, consulté le 23 août 2020.

[2] Fahd Iraqi, « Maroc : la diplomatie des masques, nouvel atout du royaume », Jeune Afrique, 14 mai 2020, en ligne, <https://www.jeuneafrique.com/945371/politique/maroc-la-diplomatie-des-masques-nouvel-atout-du-royaume/>, consulté le 15 juin 2020.

[3] Mohammed Tawfik Mouline, « La dimension atlantique de la politique étrangère du Maroc », Géoéconomie, vol. 79, no 2 (2016), p. 119.

[4] Lucile Martin, « Le dossier du Sahara occidental », Les Cahiers de l’Orient, vol. 102, no 2 (2011), p. 43.

[5] Nations unies, Sahara occidental, en ligne,  <https://www.un.org/dppa/decolonization/fr/nsgt/western-sahara>, consulté le 23 août 2020.

[6] Salim Chena. « Enjeux géopolitiques au Maghreb : questions globales, intérêts régionaux »,  Points de mire, vol. 11, no 5 (2010), p. 2.

[7] L’OUA a été dissoute en 2002 et l’UA l’a remplacé la même année.

[8] Institut de Relations Internationales et Stratégiques, Le retour du Maroc au sein de l’Union africaine et son adhésion à la CEDEAO : quelles conséquences pour les ensembles régionaux ?, en ligne, <https://www.iris-france.org/96440-le-retour-du-maroc-au-sein-de-lunion-africaine-et-son-adhesion-a-la-cedeao-quelles-consequences-pour-les-ensembles-regionaux/>, consulté le 23 août 2020.

[9] Ibid.

[10] Nora Mareï, « Régionalisation entre Maghreb et Afrique de l’ouest : regard géographique », Revue Interventions économiques, Hors-série, (2017), p. 34.

[11] Morgane Le Cam, « Rabat s’allie à Abidjan pour réhabiliter la baie de Cocody », Le Monde, 24 mars 2016, en ligne, <https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/24/rabat-s-allie-a-abidjan-pour-rehabiliter-la-baie-de-cocody_4889626_3212.html>, consulté le 23 août 2020.

[12] Jean-Yves Moisseron, Jean-François Daguzan, « Les ambitions régionales marocaines en Afrique Sub-saharienne : une diplomatie royale », Maghreb – Machrek, vol. 240, no 2 (2019), p. 79.

[13] Nadia Lamlili, « Sahara occidental : la Tanzanie veut un règlement juste et mutuellement acceptable », Jeune Afrique, 02 novembre 2016, en ligne, <https://www.jeuneafrique.com/370535/politique/sahara-occidental-tanzanie-dit-comprendre-position-maroc/>, consulté le 23 août 2020.

[14] Frédéric Bobin, Joan Tilouine, « Le Covid-19, vecteur du “ soft power ” de Pékin en Afrique », Le Monde, 02 avril 2020, en ligne, <https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/02/coronavirus-l-offensive-de-charme-de-la-chine-en-afrique_6035332_3212.html>, consulté le 23 août 2020.

[15]  L’Éthiopie a obtenue de la Chine des masques (6 millions), des tests (1.1 millions) et des tuniques de protection médicale (60 000). Frédéric Koller, « La très payante diplomatie chinoise du masque », Le Temps, 30 mars 2020, en ligne, <https://www.letemps.ch/monde/tres-payante-diplomatie-chinoise-masque>, consulté le 23 août 2020.

[16] Yahia H. Zoubir, « Les relations de la Chine avec les pays du Maghreb : la place prépondérante de l’Algérie », Confluences Méditerranée, vol. 109, no 2 (2019), p. 92.

[17] Un des domaines récemment évoqués à ce sujet est l’agroalimentaire.  Fathallah Oualalou, « Chine – Maroc – Afrique : un partenariat agroalimentaire », Policy Brief, 17/40 (2017), p. 7.

[18]  Jean-Yves Moisseron, Jean-François Daguzan, « Les ambitions régionales marocaines en Afrique Sub-saharienne : une diplomatie royale », Maghreb – Machrek, vol. 240, no 2 (2019), p. 85.

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