JAAFARI Nabil et MOHAMED Younouss
Département de science politique, UQAM
Le 26 juillet 2020
Bénéficiant de son expérience récente de la gestion de l’épidémie d’Ebola, le Sénégal, pays d’Afrique de l’Ouest de plus de 16 millions d’habitants, a rapidement mis en place un ensemble de mesures de prévention et de riposte en vue de limiter la propagation du virus de la Covid-19 sur son territoire. Au 17 juillet 2020, le pays comptait officiellement 8 544 cas déclarés positifs, pour 5809 guéris et 160 décès, dont 2 574 sous traitement (https://www.covid19afrique.com). Entre le mois de mars et celui de juillet 2020, on note une hausse considérable du nombre de cas enregistrés avec une croissance permanente de la courbe épidémiologique au sein du pays. Les principales régions touchées par la pandémie sont : Dakar, Thiès, Diourbel, Saint-Louis et Ziguinchor. Cet article propose un état des lieux général de la gestion de la pandémie au Sénégal, quatre mois après l’apparition du premier cas, en provenance de la France, le 02 mars 2020.
Mesures gouvernementales de riposte à la Covid-19
Pour faire face à la pandémie du coronavirus qui s’accélère à travers le monde et pour laquelle des prévisions alarmantes étaient faites sur l’Afrique (De Labarre, 2020), le gouvernement sénégalais a rapidement opté pour la mise en place de mesures préventives en vue de protéger la population et limiter une future propagation du virus à travers le pays.
Dès le 14 mars 2020, le gouvernement décide de fermer les écoles et les universités, et d’interdire les rassemblements. Deux jours plus tard, le 16 mars, le pays suspend ses vols avec cinq (5) pays d’Europe (France, Espagne, Belgique, Italie, Portugal) et deux (2) du Maghreb, à savoir l’Algérie et la Tunisie (Gouvernement du Sénégal, 17 mars 2020). À partir du 18 mars, les lieux de culte seront fermés, obligeant ainsi les musulmans à modifier leurs habitudes de prières quotidiennes dans les mosquées, et ce, tout au long du mois de jeûne du Ramadan. Le 20 mars 2020, comme un peu partout dans le monde, le gouvernement annonce la fermeture de ses frontières et une restriction des visas d’entrée (Kuazounde, 2020). Mais c’est quelques jours, plus tard, que des mesures ayant un impact direct sur l’économie du pays et le mode de vie des populations locales seront prises. En effet, le 23 mars, le Président Macky Sall, en exercice depuis 2012, annonce l’état d’urgence à travers tout le pays et l’instauration d’un couvre-feu allant de 20h à 6h. De plus, les autorités annoncent la fermeture des marchés et les déplacements entre les régions sont réduits au strict minimum, voire tout simplement interdit (Gueye, 2020).
La mise en place des mesures de riposte s’est accompagnée d’une campagne de sensibilisation massive auprès des populations vivant en milieu rural et urbain. Toutes les couches sociales de la population ont été mobilisées pour faire passer le message du danger lié à la pandémie et les mesures de protection à adopter. Des spots de publicité sont passés en boucle dans les chaînes de télévision, et ce, à travers toutes les langues locales. Pour donner l’exemple, le Président Macky Sall, dans une vidéo de sensibilisation, procède au lavage des mains en suivant les règles d’hygiène devant les caméras, invitant ainsi ses compatriotes à faire de même (Savana, 2020). Les associations, les étudiants, les artistes, tout le monde joue un rôle important pour la transmission de l’information dans les zones les plus reculées du pays. Dans ce sens, il convient de souligner l’action des artistes du collectif « Y’en a marre » qui ont produit une chanson de sensibilisation en langue wolof, la langue la plus parlée au pays, pour faire prendre conscience aux populations locales de la nécessité de respecter les mesures barrières (Pieri, 2020).
Enfin, s’agissant de la prise en charge médicale, des structures de santé dédiées à la Covid-19 sont mises en place dans les centres hospitaliers à travers le pays. De plus, des sites ont été aménagés pour la prise en charge extrahospitalière des patients. Comme de nombreux autres pays africains, le Sénégal a également opté pour le recours à l’hydroxy chloroquine comme l’un des modes de traitement de la maladie (Forson, 2020). Néanmoins, bien qu’un ensemble de mesures aient été mises en place pour limiter la propagation de l’épidémie, son impact sur l’économie et le mode de vie des Sénégalaises et des Sénégalais est tout de même considérable.
Impact des mesures gouvernementales sur le plan socioéconomique
Malgré la mise en place de multiples mesures de soutien, les mesures gouvernementales liées à la Covid-19 ont entraîné une forte baisse des activités dans plusieurs secteurs de l’économie sénégalaise. L’interdiction de circulation entre les régions, l’état d’urgence avec un couvre-feu imposé ou encore la fermeture des grands marchés constituent autant de mesures qui ont mis à mal le revenu de la population, évoluant majoritairement dans l’informel (M. Gueye, 2020).
Ainsi, dans le secteur agricole, représentant 15% du PIB, l’écoulement des productions, qui se fait habituellement sur le marché local et dans la zone sous-régionale est devenu difficile, voire impossible en raison de la fermeture des frontières et des restrictions de déplacements entre les régions. A l’instar des fruits et légumes produits dans la zone côtière des Niayes, entre Dakar et Saint-Louis, les agriculteurs se trouvent obligés de vendre leur production à des prix réduits, au risque de les voir se détériorer (Olivier, 2020). Il en est de même dans le secteur de la pêche, représentant 2 % du PIB, principalement pratiqué dans la ville côtière de Mbour, disposant du quai de pêche le plus important du pays (De Lesseux, 2020). Le couvre-feu imposé par les autorités ne permet pas aux pécheurs de se rendre en haute mer de bonne heure, comme à leur habitude. Cette situation a entraîné une baisse considérable des gains pour ces derniers en raison du ralentissement de leur activité.
Dans le secteur du tourisme, représentant 10 % du PIB et employant près de 100000 personnes, les principales villes touristiques du pays, à l’instar de la ville de Saly, sont devenues des « villes fantômes » (De Lesseux, 2020). L’absence de touristes, du fait de la fermeture des frontières, a entraîné une baisse des activités de 70%. Toutefois, il convient de souligner un regain d’attrait pour le tourisme local qui voit les Sénégalaises et les Sénégalais aller à la découverte de leur propre pays, à l’instar des Québécoises et des Québécois qui ont été nombreux à visiter la province cet été comparativement aux années précédentes (Jouan, 2020).
Dans le secteur de l’élevage, la pandémie de la Covid-19 coïncide avec la saison de transhumance où des milliers d’éleveurs de bovins déplacent leurs animaux des zones arides vers des zones beaucoup plus verdoyantes. Seulement, la restriction des déplacements entre les régions oblige ces derniers à maintenir leurs troupeaux dans des zones sèches (Olivier, 2020). De plus, le Sénégal étant un pays à majorité musulmane (95%), les populations se préparent à célébrer la fête de la Tabaski et doivent pour cela se procurer un mouton. La fermeture des frontières terrestres empêchant un approvisionnement par les pays voisins fait donc craindre une montée des prix sur le marché local et surtout une incapacité, pour de nombreux ménages à pouvoir s’en procurer.
C’est donc dans l’optique d’atténuer les effets négatifs du ralentissement des activités que le gouvernement a mis sur pied, dès le début de la crise, des mesures de soutien financier et matériel pour aider les ménages à traverser cette crise. Pour ce faire, le gouvernement a opté pour la mise en place d’un Fonds de riposte et de solidarité contre les effets du coronavirus dénommé « Force-Covid-19 » à hauteur de 1000 milliards de francs CFA (Savana, 2020). Ce fonds, principalement alimenté par l’État, à l’instar des ministres invités à contribuer à hauteur d’une somme d’un million de francs CFA, mais également par des dons du secteur privé ou des aides extérieures, avait pour but de soutenir les entreprises, les ménages et les membres de la diaspora sénégalaise (Gouvernement du Sénégal, 2020). S’agissant de l’aide extérieure, le Sénégal a pu bénéficier des appuis, tant matériels que financiers, de diverses institutions internationales, à l’instar de la Banque mondiale, du Fonds Monétaire International, de la Banque islamique de développement ou encore de la Banque africaine de développement.
Mise en place des mesures d’assouplissement sur fond de contestations populaires
Deux mois après le début de la pandémie du coronavirus au Sénégal, le gouvernement, conscient de l’impact des mesures de riposte sur l’économie du pays et la vie des populations, procède à un allègement des différentes mesures mises en place.
Dès le 11 mai, des annonces sont faites pour entamer le processus de relance des activités dans divers secteurs (Diallo, 2020). L’état d’urgence est maintenu mais le couvre-feu (20h-6h), passe désormais de 21h à 5h. Les horaires de bureaux sont réaménagés de 9h à 16h, puis aux heures conventionnelles à partir du mois de juin; les marchés et autres commerces sont ouverts 6 jours et fermés un jour pour le nettoyage. La reprise des cours et en particulier des examens en salle, un temps annoncé pour le 02 juin est reporté au 25 juin, alors que les élèves des classes intermédiaires sont invités à suivre les cours sur les plateformes télévisuelles, radiophoniques et numériques. On annonce également la réouverture des lieux de culte.
Toutefois, bien que ces mesures aient été adoptées en vue d’amorcer une reprise graduelle des activités, des manifestations naissent à Dakar et dans d’autres villes du pays pour protester contre le maintien du couvre-feu et les restrictions de déplacements entre les régions (Rokhy, 2020). Des Sénégalaises et des Sénégalais descendent dans la rue incendiant des pneus, dressant des barrages, brûlant des voitures de police et ambulances. En réponse à ces manifestations et pour éviter tout débordement, le gouvernement consent à alléger un peu plus les mesures mises en place. Le couvre-feu est dans un premier temps repoussé de 23h et s’achève à 5h, puis disparaît le 30 juin avec la levée de l’état d’urgence. Le transport interurbain est à nouveau autorisé à partir du 07 juin. Enfin, les frontières aériennes sont réouvertes à partir du 15 juillet, alors que celles terrestres et maritimes restent fermées en date du 26 juillet.
Bibliographie
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